Le règne du vivant

Le règne du vivant

Un condensé d’une de mes dernières lectures sur la protection de l’environnement et du règne animal. Un livre qui devrait être lu dans son intégralité pour mieux comprendre pourquoi il faut protéger la nature sous toutes ses formes. On ne peut pas être à moitié défenseur de ceci ou de cela, on est ou on n’est pas.

Vous pouvez donc lire quelques extraits que j’ai choisis pour vous mettre l’eau à la bouche.

 

Quatrième de couverture :

 

 

Critiques :

 

Aiguillonné par la curiosité, et très vite porté par l’admiration, un journaliste norvégien s’embarque sur l’Arrowhead avec une poignée de militants s’opposant activement à la pêche illégale en zone protégée. A leur tête, Magnus Wallace, figure héroïque et charismatique qui lutte avec des moyens dérisoires – mais un redoutable sens de la communication – contre le pillage organisé des richesses de la mer et le massacre de la faune.

Retraçant les étapes de cette insurrection singulière, témoignant des discours et des valeurs qui la fondent, Alice Ferney s’empare d’un sujet aussi urgent qu’universel pour célébrer la beauté souveraine du monde marin et les vertus de l’engagement. Alors que l’homme étend sur les océans son emprise prédatrice,  le règne du vivant questionne le devenir de »cette Terre que nous empruntons à nos enfants » et rend hommage à la dissidence nécessaire, face au cynisme organisé.

 

L’auteur :

 

 

Le ventre de la fée, actes sud 1993

L’élégance des veuves, actes sud, 1995 ; babel n° 280

Grâce et dénuement, actes sud, 1997 ; prix culture et bibliothèques pour tous ; babel n° 439

La conversation amoureuse, actes sud 2000 ; babel n° 567

Dans la guerre, actes sud 2003 ; babel n° 714

Les autres, actes sud 2006 ; babel n°  857

Paradis conjugal, albin Michel, 2008 ; babel n° 990

Passé sous silence, actes sud 2010 ; babel n° 1126

Cherchez la femme, actes sud 2013

 

Extraits :

 

P 34

Mon choix d’agir carrément a fait parler. Pour certains je suis devenu un terroriste et pour d’autres un héros. Je ne suis évidemment ni l’un ni l’autre. Je suis un homme qui a fait ce qu’il devait. Je crois n’avoir rien décidé de mieux dans ma vie que de couler ce foutu rafiot ! Le Léviathan parcourait les mers sans respecter aucune règle de chasse. Il harponnait tout ce qu’il rencontrait. Sans pavillon, il était au-delà des lois. Les protestations n’y faisaient rien. Et le carnage continuait. C’est pourquoi nous l’avons mis hors d’état de nuire. Ce jour-là j’ai su que nous aurions raison par l’action directe. La preuve était faite : une équipe résolue, un peu de savoir-faire, une dose de courage et l’écho des médias firent davantage que des années de réunions. Vous avez là le résumé de ma méthode.

L’association Gaïa bénéficie du soutien de cent mille adhérents. Nous n’avons pas de collecteurs de fonds, nous ne rassemblons que des activistes. Nous ne faisons ni publicité ni grands appels aux dons. Nous ne démarchons personne. Tel est le secret de la loyauté de nos membres : chacun d’eux est venu de sa propre initiative. De par le monde, Gaïa repose sur la présence et le travail de trente employés. C’est cinquante fois moins que n’en compte Noé. Nous ne prospérons pas. Nous ne travaillons ni pour notre propre développement ni pour notre profit : Gaïa dispose d’un budget qui est trente fois plus faible que celui de Noé. Mais avec dix millions de dollars nous ne restons pas les bras croisés. Jamais je ne me contenterai de filmer l’agonie d’une baleine qui pourrait me servir l’année suivante à lever des fonds pour la protection des baleines ! Je ne cherche pas de l’argent en bavardant sur la cruauté des massacres, ni en versant des larmes vaines, je cherche de l’argent pour empêcher les massacres et je m’en sers pour ça. Je fais ce que je promets : je m’interpose physiquement.

 

Page 111 (au sujet des îles Galapagos)

  • Ces gens ont à peine de quoi vivre, explique Magnus. Mais ce ne sont pas des imbéciles. Ils ont compris que les spécimens de la faune unique qui peuple ces îles ont une grande valeur économique. Ils étaient autorisés à prélever ce qui est nécessaire à leur alimentation, mais ils exportent désormais dans le monde entier. Les pauvres n’aspirent souvent qu’à devenir riches, il ne faut pas perdre de vue cette vérité. Un trafic s’est mis en place. Les prises ont augmenté. Le conflit avec l’administration de la réserve a éclaté. Voilà où en est la situation.
  • Quelle est la solution ? demande le journaliste
  • Il y en a une, affirme Magnus, mais elle suppose une volonté et une coopération de la part des représentants des nations du monde. Et c’est là que le bât blesse. Comme d’habitude !

Le Capitaine sourit à son interlocuteur, pour lui dire : j’espère que vous avez compris que l’obstacle est toujours le même. Puis il poursuit :

  • Depuis Darwin, nous considérons les Galapagos comme une zone à la faune exceptionnelle, ce qui en fait un patrimoine mondial de l’humanité. Il est temps de savoir ensemble ce que nous voulons. Désirons-nous conserver cet endroit intact ? Si la réponse est oui, nous devons en payer le prix. Or nous laissons l’Equateur se débrouiller avec les interdits.

Imaginez que vous viviez sur ces îles, dit Magnus à son interlocuteur. Est-ce à vous de payer, du prix du confort de votre existence, le désir des autres de protéger le lieu où vous vivez ?  Ce qui est le cas ici puisque même l’écotourisme est limité, afin que les animaux ne soient pas dérangés. Il faut que les habitants de l’archipel reçoivent une pension que les nations leur versent, en compensation de ce qu’elles interdisent au nom de la faune.

  • Vous pensez que cela serait suffisant pour arrêter les trafics d’animaux ? Les gens n’en voudraient pas davantage ?
  • Ces mesures et ces subventions s’accompagnent nécessairement d’une éducation. Partout où les animaux doivent être protégés contre le braconnage local, on apprend aux habitants que ces bêtes constituent la richesse de leurs villages et de leur pays. Le danger serait de financer une oisiveté.  Puisque la principale occupation est la pêche… Il faudrait que les pêcheurs deviennent les employés de la réserve. Evidemment tous ne pourraient pas l’être. Mais il est possible de conserver une pêche vivrière, elle n’a pas d’impact écologique. Il faut aussi que la demande d’animaux se calme. Les zoos, les collectionneurs, les consommateurs, partout dans le monde, doivent s’interdire d’acheter. Je pense depuis longtemps que l’industrie de la captivité est une pratique cruelle. L’enfermement torture tous les animaux enlevés à leur milieu naturel. J’appelle les familles à ne plus emmener leurs enfants dans les delphinariums et autres parcs d’attraction animaliers.
  • Vous y croyez ?
  • Si je n’y croyais pas, je rentrerais chez moi et je vivrais différemment. Je ne suis pas défaitiste. J’ai la foi dans l’action individuelle. Nous n’avons pas besoin des masses et nous ne comptons plus sur l’initiative des Etats. Ni les masses ni les Etats n’ont jamais mené aucun combat pour les droits de qui que ce soit. Nous Nous levons une petite armée qui fera bouger les masses et les Etats, une poignée de gens convaincus qui mettront leur énergie au service de cette bataille. C’est ce que je m’occupe de réussir.
  • Ne me parliez-vous pas à l’instant des représentants des nations du monde ?
  • Si on ne les pousse pas au cul, ils ne feront rien ! Ils l’ont prouvé depuis cinquante ans. Leurs réunions sont devenues une fin en soi. On y discute et on se congratule, on en profite pour voyager, mais il n’en sort jamais rien. C’est grave. Je crois dans la force de quelques individus inspirés qui résistent au mouvement d’ensemble. Dans toute l’histoire de l’humanité, ces preux originaux sont les seuls à avoir fait bouger les sociétés.

[…]

  • La vérité, dit encore Magnus, c’est que les habitudes et les mentalités, eh bien, ça se modifie. On peut agir sur ce que croient les gens. On peut leur faire découvrir que ce qu’ils jugent normal, légitime ou naturel, ne l’est pas. Par exemple, manger de la viande, utiliser des sacs de plastique pour faire ses courses, aller au zoo, laisser tuer des animaux rares, se moquer de leur souffrance ou de leur mort, rester indifférent ou inactif alors que la Terre est saccagée.

On peut leur apprendre que manger du poisson  est non seulement devenu mauvais pour la santé, mais nuisible pour la planète ! Oui, arrêtez de manger les océans ! C’est le message que la télévision devrait transmettre.

  • Il suffit de le dire à la télévision ? Ou de faire parler Claudia Schiffer ? (Petit sourire du journaliste)
  • Vous avez raison de le remarquer, dit Magnus, nous ne négligeons aucune méthode qui fait ses preuves. Et les stars peuvent avoir des convictions, dit-il en souriant à son tour. Il se trouve que les masses y sont sensibles. Ce serait dommage de ne pas en profiter ! Trève de moquerie, nous avons fait beaucoup de chemin, vous savez !
  • […]
  • Une étape a réellement été franchie. L’écologie a déjà pénétré les esprits. Le respect de la nature a grandi. Il faut qu’il croisse encore. Les gens sont prêts à savoir et à se mobiliser. Vous voyez que je suis loin d’être découragé. Je ne me sens pas seul ! conclut-il de l’air de l’homme qui se réjouit.
  • Votre pronostic pour ces négociations ?
  • L’homme est le seul prédateur qui ne prévient pas de ses intentions : je n’ai pas de pronostic !
  • Capitaine Wallace, je vous remercie, dit le journaliste à l’antenne.

Puis il serra chaleureusement la main de Magnus.

  • Comptez-moi parmi vos admirateurs, dit-il. Bonne chance !
  • Pourquoi ne pas l’avoir dit devant la caméra ? s’étonna Magnus avec malice et détermination.
  • L’impartialité du journaliste…
  • Au cul, l’impartialité ! Mouillez-vous. Posez les questions cruciales. Nous ne pouvons plus les attendre. A quel point de la courbe de sa vie croyez-vous que la Terre soit arrivée ? L’heure est grave et je ne suis pas une Cassandre en vous disant cela, dit Magnus en saluant déjà d’un signe de la main.

 

 

 

 

Page 118

 

  • Je veux faire comprendre aux gens que l’écologie est une éthique des petites choses, une pratique quotidienne à laquelle chacun peut s’appliquer. [Il faut sortir de cette conviction] que « la viande une fois par jour est un acquis social fondamental ». l’industrie de la viande pollue davantage que l’industrie automobile, les cochons dans le monde mangent plus de poisson que les requins…

 

Page 125

Les eaux silencieuses se troublent des échos de la bataille humaine pour vivre, survivre, progresser encore. Les sous-marins, les stations de forage, les navires militaires, émettent à basse fréquence et désorientent les animaux. Je filme les échouages que causent ces ondes qui sillonnent les océans. Je filme les catastrophes pétrolières en mer. Caché derrière son sigle en coquillage, prévoyant l’épuisement des sources accessibles en gaz et en pétrole, le géant des hydrocarbures accroît le nombre des projets d’extraction sous-marine. Consulté sur cette question qui a occupé en vain les négociations de la Commission baleinière, Magnus parle.

  • En cas de fuite ou de marée noire aucune technologie ne permet de nettoyer les eaux, personne n’en disconvient, rappelle-t-il. Les zones d’alimentation des grands cétacés sont menacées par cette pollution. Au large des côtes russes la baleine grise occidentale n’a plus qu’une centaine de représentants.

L’information fait rire. Se préoccuper ainsi des bêtes paraît-il infantile ? dérisoire ?

  • Une vingtaine de femelles, précise Magnus. Les rires augmentent. Est-ce que ce type plaisante ? se demande-t-on peut-être quand on ne pense pas comme lui.
  • Rien n’arrête les multinationales, poursuit Magnus, êtes-vous certains de vouloir ce qu’elles veulent ? L’engloutissement en mer des déchets toxiques, les pesticides ? N’êtes-vous pas écœurés par ces pratiques ?

L’ambassadeur de la nature rappelle le profit qu’accumulent des compagnies en vendant elles-mêmes aux gouvernements les dissolvants polluants censés exploser les molécules de pétrole.

  • Elles déboiseront la Colombie le jour où la guerre civile finira dans ce pays ! dit-il. Personne ne s’en est avisé, mais les guérilleros sont l’ultime rempart contre le pillage et la destruction de la biodiversité dans ce pays. Renseignez-vous, souffle-t-il, excédé, au journaliste.

 

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Et tout ce temps durant, Magnus amène son bateau bien-aimé aux limites de la Terre. L’Arrowhead est vraiment un vieux tas de ferraille ! déplore David Becker. Mais le capitaine sait exactement ce qu’il peut demander à son navire. On dit qu’il faut un an pour connaître son bateau et savoir comment il se comporte. Le capitaine sait. Et il voit le grand suaire parcouru par la houle. Où sont passés les géants gracieux, les rois des mers ? Les eaux se dépeuplent. Encore trois ou quatre décennies et il n’y aura plus rien à faire, la prophétie s’accomplira, la désertification sera une réalité. Nous voyons le vide se faire aussi dans le ciel. Les mailles perfides des filets dérivants, imputrescibles, piègent les pêcheurs volants. Des routes qu’enchantaient autrefois les oiseaux sont désormais silencieuses. Les albatros, les fous de Bassan, les pélicans, tous ont disparu. Le bout de leurs ailes ne caresse plus la crête des vagues. L’immémorial pullulement de la planète se raréfie. Je ne jouis plus du silence qui nous enveloppe. Sa qualité a changé. De plus en plus souvent Magnus reste enfermé dans sa cabine, invisible au reste de l’équipage. C’est sur terre qu’il faut parler, me dit-il.

 

 

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  • Je sais que je suis plutôt isolé, mais tant mieux, cette solitude me laisse libre de mes décisions. Je ne veux plus ni actionnaires, ni conseil d’administration. J’ai vu leurs trouilles et leurs méfaits. Mes valeurs ne sont pas celles de notre société matérialiste et marchande. Je récuse les leçons de morale. On me rappelle à l’ordre du capitalisme et au découpage du monde ! Monsieur Wallace, vous n’aviez pas le droit d’entrer dans notre pays ! Monsieur Wallace, au nom de quoi avez-vous privé ces pêcheurs de leur outil de travail ? Monsieur Wallace, vous êtes priés de respecter les coutumes des peuples ! Les mêmes gens qui tous les jours violent la loi me parlent de la loi ! Je sais que j’agis au nom des mers et je me sens à l’abri des lois de la terre.
  • Lorsqu’un combat est plus que moralement juste, parce qu’il est vital pour l’avenir de la planète, je soutiens que oui vraiment la fin justifie les moyens ! C’est la question qui revient toujours, comme si nos méthodes étaient indignes. Elles ne le sont pas ! Nous sommes scrupuleusement inoffensifs et efficaces contre des voleurs sans scrupule. Et je parie que les autorités de demain, celles de nos enfants, jugeront que nous avons été les défenseurs de la vie.

 

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Ce n’était que la fanfare accompagnant la parade amoureuse des mastodontes. Les mâles donnaient la sérénade pour conquérir les cœurs. Chaque animal chantait à toute force, cherchant l’écho du récif corallien, de sorte que ses concurrents fussent avertis de sa cour et de la compétition. Il postulait et se battrait pour celle qu’il convoitait. C’était le cantique de l’eau peuplée, le cri des baleines grises –celles que le moratoire avait sauvées. Celles qui se montraient joyeuses et confiantes, curieuses des hommes, et dont l’espèce avait manqué s’éteindre. Rien n’égalait la rotondité pleine de ces collines couleur de métal usé, émergeant de l’eau tels des sous-marins. Leur nage était souple, comme un acquiescement ; leur corps légèrement cambré se pliait pour dire oui à l’eau. La troupe des chanteuses remuait l’océan, s’immergeant par dizaines. C’était le rassemblement estival de leur espèce. Les femelles battaient l’eau avec leurs nageoires. Leurs dos ondulaient. Elles s’enroulaient sur elles-mêmes, pivotaient, faisaient la planche. Bientôt les mâles assouviraient l’instinct de possession qui les poussait vers elles. Le stupéfiant corps à corps faisait  déjà bouillonner l’océan. L’eau et le désir entraient dans une effervescence conjointe. Brassée en masse, l’eau se faisait entendre en clapotements puissants. De grands transvasements avaient lieu à chaque mouvement des animaux. La lutte et la passion des sexes secouaient le territoire des cétacés. Ce vacarme ruisselait sur le public comme la vérité du monde. Je pensai que trop peu d’hommes l’entendaient. La sensation et le bienfait s’en étaient perdus. Nous vivions éloignés de cette nature, nous en oubliions l’émotion, et c’était ainsi qu’elle pouvait être détruite sans que s’élevât notre protestation. Il fallait restaurer l’alliance et crier au scandale. Il fallait réclamer la frugalité et le respect des équilibres. Magnus Wallace avait raison de montrer ces images qui soutiraient des cris d’amour aux enfants. Je comprenais ce qu’il faisait : exposer au monde ce qui risquait d’être détruit au nom des considérations économiques.

 

Le film se poursuivait ailleurs, dans d’autres eaux, en une autre saison. Le temps d’une gestation était passé. Le grands corps gris d’une baleine s’enroulait et caressait son petit dans la tranquillité bleutée d’un lagon. L’énorme génitrice avait l’idée exacte de son volume dans l’espace, au centimètre près elle contrôlait son chemin, frôlant celui qu’elle protégeait. Sa puissance se convertissait en douceur. La peau du balaineau était plus pâle que celle de la mère, sans les cicatrices d’anciens combats avec d’autres baleines, neuve dans l’océan, grande surface à caresser. Leurs ventres blancs se frottaient l’un contre l’autre, tachetés et luminescents. Chaque mouvement était fluide. Parfois le petit s’immobilisait sur le dos de sa mère, collé à elle, telle une ventouse sur sa grosse tête souriante. Ils ne possédaient pas les bras pour s’étreindre, ni les mains pour devenir industrieux, ils étaient privés d’enlacement, et cependant la complicité, le soin et le souci de l’autre s’exprimaient. Comment nager ? Comment respirer ? L’enfant apprenait en suivant sa protectrice. Il ne la lâchait pas. Si les orques venaient, ou les hommes, elle sacrifierait sa vie pour lui. Elle lui avait donné le monde et elle allait le lui montrer.

 

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Magnus reprit le micro. Les lumières s’étaient rallumées. Le halo d’un spot entourait la silhouette massive du capitaine.

  • Dans deux mois, nous reprendrons la mer direction les sanctuaires du Sud. Nous ferons respecter les lois de conservation que des gouvernements ont votées sans se soucier de leur application. Tant que n’existera pas une police des mers, nous serons cette police. Nous sommes moins agressifs, moins équipés, moins soutenus, mais plus inspirés que les chasseurs. Nous pourrirons leur campagne. Nous les empêcherons de travailler. Ils perdront de l’argent. C’est la seule chose qu’ils comprennent. D’année en année, nous les conduisons à la faillite. La rentabilité est le fil pervers qui tient le système, nous le couperons.

 

Page 149

Nous pourchassions sans faiblesse, on nous pourchassa sans scrupule. Une grande dame de la politique américaine se vit priée de retirer à Gaïa ce fameux statut caritatif qui rendait les dons déductibles des impôts des donateurs. Le mandat d’arrêt qui avait suivi l’inculpation de Magnus à Punta Arenas courait encore, sous la pression économique des partenaires asiatiques incontournables. La coopération verte ne s’installait pas. Vous êtes la honte des mouvements écologistes ! Voilà ce que nous entendions. Les navires de Noé croisaient dans les eaux sans intervenir. Ils recueillaient des financements sans financer de campagnes actives. Etait-ce un genre de nouveau de détournement de fonds ?

  • Ils se contentent (Noé) de photographier ! Comme si l’on ne savait pas que l’on chasse les baleines ! Nous sommes seuls sur les mers avec nos moyens insuffisants. Certains nous confondent avec Noé. C’est un comble, notre action nourrit leurs collectes, on leur attribue nos victoires et ils n’agissent pas ! regrettait Magnus.

 

Page 151

  • Notre action est révolutionnaire ! Nous critiquons les valeurs en place. Nous menaçons la société de consommation. Voilà ce qui est impardonnable. Nous attaquons la configuration mentale que la civilisation a forgée : la faveur que nous accordons au présent, la technologie devenue une raison de vivre, notre goût pour la propriété et l’accumulation, notre culture qui exclut le monde naturel des grandes richesses pour lesquelles nous devrions nous battre. Les coffres-forts de nos banques sont mieux protégés que l’océan Austral qui est pourtant notre poumon principal.

 

Page 191

  • Le groupe d’animaux qu’ils poursuivaient a disparu, me dit Philippe qui fouille la surface de l’eau.

Le Kaiei Maru a stoppé ses machines.

L’opération médiatique prend le relais de l’action physique. « Nous sommes à huit jours de Melbourne, dans la mer de Ross. En conformité avec la Charte des nations unies pour la nature nous venons de mettre fin aux activités de pêche illégale du Kaiei Maru. Nous demandons aux gouvernements de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande de soutenir cette arrestation », dit le communiqué de presse que transmet Magnus. L’embellie s’est positionné pour empêcher toute tentative de fuite. Je filme les trois bateaux immobiles au  milieu des débris de glace qui flottent dans l’eau verte. Hélas ils resteront seuls. Aucune police ne viendra escorter les chasseurs jusqu’à leur port d’attache. Aucune juridiction ne les poursuivra. Les instances concernées s’abstiennent. C’est une déception,  un étonnant désaveu : personne  ne soutient notre action. Aucun gouvernement, aucune police maritime, aucune association écologiste ne répond à notre appel. Les journalistes relaient l’information, prodiguant du spectaculaire et de l’effroi : « trois navires, moteurs stoppés, en plein Antarctique, tel est le nouveau visage de la guerre des baleines ». Les politiques restent muets. Le bateau de Noé n’apparaît pas à l’horizon pour nous seconder.

 

Page 192

Nos frères ennemis se désintéressent de notre engagement. Je songe au monde que le paysage alentour éclipse de notre imagination. Ici le silence, l’infinie féerie de la platitude, les glaces flottantes, les spasmes de la mer, là-bas les buildings et le grouillement des transhumances quotidiennes. Ici l’attente solitaire, là-bas l’agitation furieuse. A la même heure, dans le même système solaire, les pieds posés sur la même Terre, les gens vivaient. Ils parlaient, s’aimaient, se nourrissaient, regardaient la télévisions, allaient au cinéma, au théâtre ou au concert, dormaient. Ils marchaient sur des chemins de terre ou roulaient sur des autoroutes, partaient en voyage, faisaient leur job ou croyaient le faire, sans se préoccuper d’autre chose que de leurs propres existences. Des négociations internationales capotaient. Des écologistes étaient muselés au sein même de leur gouvernement, ou bien devenaient inexplicablement conciliants. Des multinationales agissaient contre l’intérêt commun. La grande indifférence était victorieuse. La presse d’ailleurs révélait l’ouverture du chantier de la route qui traverserait bientôt l’Arctique. On rappelait les débats et les impasses qui avaient jalonné la discussion autour de ce projet avant tout commercial. Les défenseurs des glaces polaires n’avaient pu l’empêcher. Le rôle consultatif des commissions était-il à modifier ? Celle qui agissait pour la défense de l’Antarctique n’avait pas trouvé une unanimité pour élargir les sanctuaires du Sud.


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